Dans le passé,
j'ai évité de discuter des affaires du "célèbre" Karaté
Kyokushin. J'avais besoin de temps pour réfléchir à ce que j'avais
à dire, et je voulais être le plus honnête possible envers la mémoire
de mon vieil ami et professeur Mas Oyama.
Il a beaucoup
fait pour moi, m'amenant au karaté et me donnant un nouveau but dans
la vie. Ce qui changea complètement ma vie, pour le meilleur. Pour
moi, Oyama fut comme un père que je n'ai jamais eu. Par le passé,
il me montra tout ce qu'on a besoin de savoir pour être un professeur,
et m'aida lors de moments difficiles. D'un autre coté, je suis fatigué
de tous ces racontars qui ne montrèrent pas la réalité des faits.
Je vais donc
dire ce qu'il en était. Les articles décrivant Oyama en train de se
préparer pour le grand championnat de karaté de 1947 sont plutôt
drôles. Particulièrement les américains qui ont combattu les japonais
lors de la seconde guerre mondiale, devraient le savoir. Mc Arthur fut
le grand "Honcho" au Japon depuis Août 1945 jusqu'à la guerre
de Corée, et déclara qu'il n'y aurait plus aucun budo au Japon jusqu'à
ce qu'il en décide autrement. Il confisqua même tous les sabres des
samouraïs sur lesquels il put mettre la main, et les fit jeter dans
la baie de Tokyo. Cela représenteraient des centaines de millions de
dollars aujourd'hui. Il ne plaisantait pas, et personne n'osa désobéir
à ses règles.
Autour de 1948,
le judo recommença a être pratiqué au vieux Kodokan de Suidobashi.
Le karaté se pratiquait principalement au Shotokan où les combats
ne furent pas autorisés avant la fin des années 1950, ainsi qu'au
Gojukai et Wado-Ryu, où les sparring étaient si doux qu'une lèvre
ouverte ou un nez qui coule mettait les officiels en état de choc.
Donc, s'il y a peut-être eu quelques clubs de boxe professionnelle
où le combat se pratiquait sur une base de KO, un championnat de Karaté
à Tokyo fondé sur cette même base était hors de question.
Lorsque l'on
écoute les histoires du passé, il faut se souvenir que les japonais
sont de très bons conteurs. Si l'histoire est bonne, ils ne vérifient
pas sa véracité. Encore aujourd'hui je rencontre des gens qui entendirent
leur père ou grand-père parler des bagarres que j'étais censé avoir
eues dans ma jeunesse. Cela ne m'étonne plus, et je suis lassé d'expliquer
à ces gens que ces histoires sont impossibles parce que dès que l'on
frappait quelqu'un, on était de suite amené au poste de police, jugé
et envoyé en prison ou jeté hors du pays. J'admets avoir eu quelques
bagarres, mais toujours avec des témoins qui confirmèrent que ce n'était
pas moi qui les avait déclenchées.
En ce qui concerne
les 270 combats d'Oyama aux Etats-Unis, il faut se souvenir qu'il s'était
implanté la-bas comme lutteur professionnel. Depuis quand les combats
de lutte professionnels sont au même niveau [qu'un "vrai"
combat] ? Tout ce qu'Oyama me raconta à ce sujet fut que les lutteurs
américains étaient fous, leur lutte hypocrite et pré-arrangée, et
qu'en tant que combattants, ils étaient faibles. A mon avis, l'essentiel
de ce qu'il faisait était de casser des briques ou autre chose entre
les matchs. S'il avait jamais combattu n'importe quel lutteur professionnel
américain, réellement combattu, je pense qu'ils aurait battu la plupart
d'entre eux très facilement.
L'histoire
concernant les combats de taureaux d'Oyama n'est pas vraie. Il n'a jamais
rencontré un "vrai" taureau, car il ne s'est jamais rendu
en Espagne. Je doute même qu'il ne se soit jamais fait saigner [par
le bœuf] car il ne m'en a jamais parlé, alors qu'il avait l'habitude
de tout me raconter. Kurosaki Kenji était là, et me raconta ce qui
s'est passé. Ils allèrent tôt le matin dans un entrepôt dans la
préfecture de Tateyama. Les ouvriers préparèrent un vieux bœuf bien
gras en frappant l'une de ses cornes avec un marteau afin de l'attendrir.
Oyama ne tua pas le bœuf, il ne fit que briser sa corne attendrie.
Oyama nous
montra à Bill Backhus et moi-même le film 16mm Combat contre un taureau
en 1959. J'ai déjà dit qu'Oyama n'a jamais montré ce film en Europe
parce que ça semblait trop bidonné et tout le monde se rirait de lui.
Autant que je sache, personne d'autre n'a revu ce film depuis. Même
les célèbres championnats d'Oyama de 1970 ne sont qu'une blague. A
cette époque, les étrangers n'étaient pas autorisés à gagner. Pour
empêcher cela, Oyama faisait se battre les "gaijins" [étrangers]
d'abord entre eux et bien entendu, surtout les meilleurs entre eux.
Comme tout le monde voulait gagner, les blessures étaient terribles.
Pendant ce temps, il mettait le meilleur japonais contre des japonais
moins bons de son école, qui avaient conscience de leur rang et bien
sûr, ne tentait pas d'y aller trop fort. Ainsi cela se passait plus
facilement.
Occasionnellement,
au cours des phases finales, l'arbitre accordait une décision favorable
à un bon combattant étranger sur un japonais. Dans ce cas, Oyama se
levait, rouge de colère. Puis il appelait l'arbitre à sa table et
réussissait à faire renverser la décision, ce qui était contraire
à toutes les règles sportives. Lisez le livre de Nakamura Tadashi,
ou allez lui parler à New York. Il est vraiment ému et triste à ce
sujet.
Oyama était
un jeune homme fort, mais je ne l'ai jamais vu se battre contre qui
que ce soit, même pas dans son propre dojo. Donc ses "incalculables
rencontres" et "challenges" ont du avoir lieu avant la
période où je l'ai connu. Kurosaki Kenji m'a dit qu'ils ont du avoir
lieu avant lui également, ce qui nous ramène à 1952, alors qu'ils
s'entraînaient tous les deux au dojo de Gogen Yamaguchi à Tokyo. Donc
je pense qu'il n'a peut-être même jamais combattu de toute sa vie.
Mais il fut
un bon professeur, qui a entraîné de nombreux très bon combattants,
et ses livres furent très populaires. Quand j'ai lu son premier livre
What is Karate ? (1957), je fus réellement impressionné. J'étais
dans son second livre This is Karate (1965), et j'ai eu l'opportunité
de voir comment il faisait les choses.
La chose qui
m'impressionnait le plus était le monkey business (business de singe,
selon les propres mot d'Oyama), autour des casses. Je ne savais pas
cela lors de ma première démonstration de casse aux Pays-Bas. Comme
j'avais lu dans le livre d'Oyama What is Karate ? que quelqu'un était
capable de briser 25 tuiles d'un coup, j'ai simplement amené avec moi
25 tuiles que j'avais trouvé sur mon chemin. Je me suis dit que 25
c'était beaucoup, car celle-ci étaient lourdes et paraissaient dures.
Alors j'en ai juste placé 8 l'une sur l'autre et donné tout ce que
j'avais. Je l'ai fait, mais je me suis presque cassé le poignet. Bien
sûr, je me suis demandé comment ce type pouvait en briser 25.
Et bien je
le découvris en travaillant sur le livre This is Karate. Je suis allé
vérifier l'empilement de tuiles qu'ils avaient préparé et regarder
celle du dessus. Elle me fit penser à du papier, elle était si légère,
et sur la face du dessous, il y avait une ligne creuse provenant de
la cuisson, tout le long de la tuile. Ainsi, le milieu de la tuile n'était
probablement épais que d'un millimètre. Je n'ai aucun doute qu'un
poulet de 110 livres pourrait s'en sortir avec 25 tuiles de cette sorte
!
Les briques
n'étaient pas différentes. Elles étaient cuites de façon spéciale
et si quelqu'un s'appuyait dessus, elles s'effritaient. Son bois était
aussi très léger. Au sujet de sa célèbre casse de bouteille, d'abord
vous préparez la bouteille en passant une pierre pointue autour du
cou de la bouteille. De cette façon, lorsque vous frappez la bouteille,
elle se casse le long de la ligne gravée. Kurosaki Kenji fut le seul
qui m'impressionna réellement avec ses casses. Avec sa tête, il brisa
deux briques rouges à la télévision britannique. Le sale son de craquement
horrifia toute l'assistance. J'étais un bon casseur également, mais
j'ai payé le prix de mes erreurs. Ce qui m'amène à la casse de glace.
Lorsque vous brisez des morceaux de glace, faites bien attention. Car
sinon, vous allez frapper la glace avec votre poignet au lieu de votre
shuto (sabre de main), et vous casser le poignet au lieu de la glace.
Cela m'est arrivé en 1975.
Au cours d'une
démonstration, Loek Hollander avait arrangé pour chacun d'entre nous
plusieurs gros morceaux de glace. Ce que je n'ai su que plusieurs années
plus tard, c'est qu'il s'était arrangé pour que des ouvriers coupent
ses propres blocs presque à moitié en utilisant des fils de diamant,
et regèlent ensuite les blocs afin que personne ne remarque les coupures.
D'un autre coté, mes blocs étaient solides. Quoi qu'il en soit, Loek
brisa ses trois blocs avec tant de facilité que j'en oubliais la règle
concernant le poignet, et me brisai immédiatement le petit os en dessous
du poignet. Je fus tellement en colère que j'ai refrappé directement,
et brisé la glace quand même. J'eu un plâtre pendant les six mois
qui suivirent.
Comme je l'ai
dit plus haut, j'ai ouvert en 1963 mon propre budo club appelé "Budokai".
Kurosaki Kenji me rejoint en 1966, au moment où Oyama commençait à
s'appeler lui-même "la main de Dieu". Même la presse japonaise
rit de cela. En 1990, nous avons changé le nom du club en "Kyokyushin
Budokai" et, en 1966, quelques amis et moi-même le renommèrent
"International Budokaikan" [problème avec ces dates ?]. Aujourd'hui,
il y a de nombreux clubs associés et quelques très bons combattants.
Au Budokai, nous n'enseignons pas de kata, seulement le combat. A l'exception
de Don Draeger. Je n'ai jamais connu de champion de kata qui pouvait
battre ma grand-mère en randori si elle avait son parapluie avec elle.
Pour ne pas avoir trop de blessures, nous fournissons aux élèves beaucoup
de coaching et supervision. Mais comme la méthode japonaise consistant
à frapper [giffler ?] les gens en ligne ne fonctionne pas en Europe,
nous ne faisons pas faire à quelqu'un ce qu'il ne veut pas. Ainsi,
les standards sont aussi élevés que ce que l'individu le souhaite.
Ce qui peut être très élevé, puisque les équipes que nous envoyons
aux tournois de Full-Contact gagnent généralement. Par exemple, à
Tokyo en 1993, Chris Dolmen, notre seul 9è DAN, devint le premier champion
"Free-Fighting". Entre 1994 et 1997, les équipes Budokai
ont remporté les "All-Round Karate Championship" de Tokyo.
En conséquence, les japonais ne nous laissent plus participer aux compétitions.
Malheureusement,
on ne gagne pas beaucoup d'argent à enseigner le Budo de cette façon.
Aujourd'hui je suis à la retraite, mais pour gagner ma vie étant jeune,
j'ai pris un partenariat dans un casino à 50%. Ce travail m'occupait
beaucoup, surtout la nuit. J'ai aussi joué dans sept films mais le
cinéma ne paye pas en Hollande, et j'ai donc fini par arrêter. Entre
la charge de travail et la misère politique au sein de l'European Kyokushin
Kaikan en 1971, j'avertis Oyama que j'étais trop occupé pour être
à la tête de l'organisation, et que je devais laisser ce travail à
Loek Hollander. Oyama était bouleversé. Il m'a supplié, mais je voulais
arrêter. Au final, il accepta et donna à Hollander cette fonction.
À partir de ce moment, Hollander s'en mit plein les poches et tua le
Kyokushin Kaikan. Je pense maintenant que donner le leadership à Hollander
fut la chose la plus stupide de toute ma vie.
En 1976, nous
étions avec quelques potes en Corée, pour recevoir une décoration
pour notre service durant la guerre de Corée. Ensuite, ma femme et
moi-même nous installèrent à Tokyo, où je pus visiter le Honbu Dojo
du Kyokushinkai pour la première fois depuis plusieurs années. Dans
la rue, juste devant il y avait des guardes. L'endroit ressemblait à
un repère de Yakuza - et c'est le cas, pour ce que j'en sais. Bien
qu'il aimait à s'appeler "la main de Dieu", tout le monde
appelait Oyama "Monsieur 10%". Ceci à cause de ses relations
avec divers politiciens et businessmen, incluant l'un de ceux du Time
Magazine appelé "The Godfather" (le Parrain) du Japon. Parmi
les "jeunes lions" du siège du Kyokushin Karate d'Oyama (en
1985), Necef Artan raconte comment les élèves d'Oyama passaient 4h
par jour à demander aux commerçants de Tokyo d'afficher des posters
dans leurs vitrines. De telles activités seraient considérées comme
du racket en europe ou en amérique. Mais au Japon, les politiques et
les yakuza vont main dans la main, et aucun ne fait du business sans
l'autre. Quoi qu'il en soit, je suis entré par la porte, et monté
par les escaliers vers le bureau d'Oyama. Bien qu'Oyama n'était pas
là, les vieux souvenirs revinrent et je senti ma gorge se serrer. Les
jeunes ceintures noires postées comme des gardes ne m'avaient visiblement
pas reconnu, même si ma photo était accrochée au mur. L'un d'eux
vint pour me stopper, alors je lui lançai mon regard le plus froid
possible, et lui dit en japonais qui j'étais, et ajoutai que que s'il
me touchait, il serait converti en crêpe immédiatement. Le pauvre
garçon en a presque fait une attaque cardiaque, car Oyama leur avait
raconté plein d'histoires à mon sujet. Lorsque je reparti, les garçons
touchèrent mon bras ou mon épaule et dirent qu'ils étaient honorés.
J'ai parlé avec Oyama un peu plus tard le même jour et nous dinèrent
dans un très cher restaurant de "Bœuf de Kobe".
Alors qu'Oyama
s'en alla pour laver ses mains, son épouse me dit qu'il souhaitait
me voir de retour au Kyokushin Kaikan. A son retour, nous en avons donc
parlé et je lui dit que j'essayerais une seconde fois s'il acceptait
de se débarrasser d'abord de Loek Hollander. Mais il ne voulait pas.
La dernière fois que je vis Oyama vivant fut en 1983. J'étais en visite
en Corée, et un général Coréen me demanda ce que je faisais comme
travail. Lorsque je lui répondis, il me dit qu'il avait un ami de passage
du Japon, qui était un célèbre professeur de karaté appelé Oyama.
Surpris, je lui racontai mon histoire. Le général se mit à rire et
me dit : « Maintenant je sais pourquoi votre nom m'est familier - vous
êtes Bluming , la Bête d'Amsterdam ! ». Puis il appela Oyama et arrangea
une entrevue. Le vieil homme était vraiment content de me voir, et
nous avons eu une bonne conversation. Il dit qu'il m'enverrai un billet
d'avion en première classe afin que je vienne à Tokyo l'année suivante.
Il était même d'accord pour se débarrasser de Loek Hollander. Mais
en Novembre 1983, je reçus une lettre du Kyokushin Kaikan disant qu'il
ne voulait pas me voir de retour, et que je devrais plutôt m'occuper
de mes affaires. Il semble que Loek Hollander avait raconté à Oyama
au cours d'une conférence mondiale que j'étais un gangster, et que
j'avais braqué une banque avec un pistolet. J'admets que j'étais associé
dans un casino, mais c'est loin d'être la même chose qu'un gangster.
Qui plus est, si je dévalisais les banques à main armée, je n'aurais
jamais été choisi pour être garde du corps pour le Prince Bernhard
des Pays Bas en 1986, 1991 et 1996. Quoi qu'il en soit, Oyama avait
cru à cette histoire, ainsi qu'un certain nombre de gens. Peu de temps
avant sa mort, Oyama se rendit compte que j'avais raison et que Loek
Hollander avait tout faux. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui
vous ne trouverez aucun article sur Loek Hollander, ou même une photo
avec son nom dans aucun magasine sur le Budo japonais. Oyama l'a interdit.
Pour mettre les choses au clair, Oyama envoya même Maeda Akira, 7e
DAN, aux Pays-Bas à l'automne 1993. En Avril 1994, il était prévu
que j'aille à Tokyo pour parler à Oyama alors que je reçu un fax
disant qu'il venait tout juste de mourir d'un cancer. J'ai pleuré et
pleuré. J'étais si triste, en colère et frustré.
Au cours de
mois suivants, j'ai eu plusieurs rencontres avec les nouveaux leaders
du Kyokushin Kaikan. Loek Hollander était encore là et lui, et ses
sbires m'accusaient encore d'être plus intéressé par l'argent que
par le budo. Pendant ce temps, les japonais en parlaient comme de la
chose la plus importante sur Terre - mais ne réussissaient toujours
pas à mettre en place une équipe qui pourrait gagner contre le shoot-boxing,
ce qui est à mes yeux un style très faible de free fighting. Voila
la fin de l'histoire.
En ce qui concerne Mas Oyama, on trouve écrit dans les enseignements du Bouddha : "Un élève peut-il être en colère contre son professeur" ? Plus l'élèves est dévoué, plus il a de privilèges ! Mais ces privilèges n'incluent pas les mensonges. Je peux sembler amer, mais je ne le suis pas. Mas Oyama a complètement changé ma vie, pour le meilleur de celle-ci. Il avait un grand cœur et était un excellent professeur. Pour le reste, j'aurais aimé que la politique soit moins présente dans les diverses organisations de karaté et judo. J'aurais aimé être meilleur diplomate, car cela m'aurait aidé. J'aurais aimé qu'il ne meurt pas, car sa mort signifie que je ne peux plus lui parler, ou lui dire l'amour que j'ai toujours pour lui, à cause des vieux jours. J'aurais aimé que les japonais ne soient pas tant nationalistes, fiers et prétentieux, et qu'ils donnent à Don Draeger tout le crédit qu'il mérite en tant que professeur, coach, combattant et écrivain. Mais ce qui me rend le plus triste, c'est de devoir reconnaître que ce que l'on fait passer pour le budo n'est en réalité rien d'autre que du "Monkey Business" (commerce de singe).
Without spirit budo is but an empty shell